Bénin : le président, l’homme d’affaires, le juge et les autres
Lundi 22 octobre 2012 : Tentative d’empoisonnement du chef de l’Etat béninois, le président Boni Yayi. Jeudi 21 février 2013 : Tentative de coup d’Etat . Depuis bientôt un an, ces deux affaires ont éclaté à Cotonou telles des bombes et ont fini par se fusionner pour n’en faire qu’une. Mais de quoi parle-t-on au juste ? l’homme d’affaires Patrice Talon aurait tenté dans un premier temps d’empoisonner le chef de l’Etat béninois, le président Boni Yayi. Ceci avec la complicité de certains proches parents et amis du président. N’ayant pas réussi la tentative d’empoisonnement, il aurait dans un second temps tenté un coup d’Etat en complicité avec un expert-comptable et un commandant de la gendarmerie béninoise. Le pays est tenu en haleine et suit le déroulement et les imbroglios politico-judiciaires de cette rocambole affaire. A chaque jour ses rebondissements, ses révélations, ses nouvelles et ses rumeurs que distillent la presse ou les « personnes bien informées ».
L’affaire suivait son cours au Bénin, mais prit une tournure internationale avec la demande d’extradition introduite par la justice béninoise auprès de la France. Cette demande concerne Patrice Talon et son supposé complice Olivier Boko tous deux réfugiés en France. Le FBI et des services français spécialisés ont été approchés par la justice béninoise pour analyser et attester la toxicité des médicaments qui constituent ici les armes du crime. Chaque jour, de nouvelles révélations viennent étoffer cet imbroglio politico-judiciaire.
Mais comme un malheur n’arrive jamais tout seul, ni un bonheur d’ailleurs, l’on apprend quelques mois plus tard qu’une tentative de coup d’Etat a été déjouée. Les auteurs, interpellés et emprisonnés sont au nombre de deux (excusez du peu). Il s’agit d’un ancien commandant de la Garde Républicaine du nom de Pamphile Zomahoun et d’un exper-comptable reconnu et respecté à Cotonou. Rapidement les deux affaires sont reliées dans la tête des Béninois, car l’expert comptable est un cousin de l’homme d’affaires Patrice Talon.
Souvent absent du pays, je ne m’étais pas vraiment trop intéressé à cette affaire, jusqu’au jour où, lors d’un séjour à Conakry, un ami m’interpella sans ambages. Pourquoi vous les Béninois voulez-vous tuer votre président ? Je tentai donc, autant que me le permettait ma compréhension de l’affaire, de lui expliquer les tenants et aboutissants de ce feuilleton politico-judiciaire. Au fur et à mesure des explications, je me suis rendu compte que les acteurs impliqués dans cette saga judiciaire étaient nombreux et méritaient une présentation détaillée.
Alors, suivez le guide à la découverte des protagonistes de cette histoire qui est le feuilleton de l’année au Bénin :
Acteurs principaux
1er rôle : Docteur Boni Yayi, président de la République du Bénin, chef de l’Etat, chef du gouvernement, et ex-ministre de la Défense cumulativement avec ces fonctions de chef de l’Etat (sécurité oblige). Il est docteur en économie.
Président de la République du Bénin, Boni Yayi a été élu une première fois en mars 2006. Ce fut un vrai plébiscite, car le peuple avait besoin d’une nouvelle classe politique. Lui, l’ancien président de la Banque ouest-africaine de développement avait le profil idéal de bâtisseur et de développeur dont rêvait le peuple. Il a été réélu dès le premier tour avec plus de 53 % des voix en mars 2011. Il faut dire que cette victoire est restée en travers de la gorge de plusieurs hommes politiques béninois qui ne pouvaient imaginer un tel scénario même dans leurs pires cauchemars. Boni Yayi s’avère un président atypique, volontaire et populiste. L’homme est connu pour sa communication terre à terre. L’une de ses phrases les plus célèbres, prononcée lors d’un grand événement consacré aux femmes est entrée dans le jargon béninois : « Les femmes, je vous aime, je vous adore ». Une femme a avoué à son mari que c’est seulement à cause de cette phrase qu’elle a voté pour le président en 2011, car son mari ne lui faisait plus de déclaration d’amour de ce genre. Ses opposants et les syndicalistes le traitent de dictateur et de prestidigitateur de la démocratie. Il faut dire qu’il affirme lui-même pratiquer la dictature du développement, car il n’y aurait pas d’autres moyens pour sortir le pays des tourments où l’on conduit la pratique d’une « démocratie Nescafé, chargée de désordre et d’anarchie ». Il a pris plusieurs initiatives dans le sens du développement du pays ainsi que de grands chantiers de réalisations d’infrastructures routières et autres. Il est célèbre pour ses remaniements ministériels à des fréquences plutôt rapprochées. Le mois de septembre 2013 par exemple a connu deux remaniements ministériels.
Son second et dernier mandat arrive à son terme en mars 2016, mais ces opposants et une partie de a société civile l’accusent de nourrir des envies de révision de la Constitution béninoise qui limite le nombre de mandats présidentiels à deux afin de se maintenir au pouvoir. L’homme affirme, par contre, qu’il veut se retirer à l’issue des deux mandats et devenir pasteur d’une église évangélique.
1er rôle : Patrice Talon : homme d’affaires, s’est enrichi dans le négoce des intrants et fibres de Coton, on le dit milliardaire en F Cfa (un euro vaut environ 656 F Cfa).
Patrice Talon est un homme plutôt discret dont on entend très peu parler dans la société béninoise. Peu de Béninois peuvent le reconnaître dans la rue. Il est pourtant l’un des hommes d’affaires les plus prospères du Bénin. Il possède plusieurs grandes entreprises dans les domaines du transit, négoce d’intrants agricoles, égrenage de coton, commercialisation de coton fibre et bien d’autres affaires encore. Il se raconte qu’il est le faiseur de rois au Bénin. Pour paraphraser la Bible, « nul ne peut devenir président de la République du Bénin s’il ne passe par Patrice Talon ». Il a obtenu en 2010 l’exploitation de l’activité nommée PVI (Programme de vérification des importations) au port autonome de Cotonou. Il filait le parfait amour avec le président de la République jusqu’au jour où les murs de la merveilleuse entente commencèrent à se lézarder.
L’homme d’affaires expliquait dans une interview donnée sur RFI que ses malheurs avec le régime béninois ont commencé le jour où il s’est opposé aux velléités révisionnistes de son ami le président qui l’aurait menacer de lui faire mal. Il perdit tour à tour le juteux contrat du PVI, le contrôle de l’Association interprofessionnelle du coton dont certains membres ont d’ailleurs eu maille à partir avec la justice béninoise, le monopole de l’importation des intrants agricoles pour les campagnes cotonnières. Des milliers d’agriculteurs que l’ont dit instrumentalisés par le pouvoir Yayi ont défilé pour manifester leur mécontentement du fait de chiffres qu’ils jugent truqués et qui ne reflètent pas la réalité de la production cotonnière du Bénin. Talon et ses amis auraient truqué les chiffres à la baisse pour s’en mettre plein les poches. Pour le camp présidentiel, il serait un vrai prédateur de l’économie béninoise
Patrice Talon aurait fui en France dans des conditions rocambolesques pour échapper à la police béninoise. Il demeure aujourd’hui l’homme à abattre, l’ennemi public numéro un des autorités béninoises qui veulent absolument son extradition vers le Bénin pour que justice soit faite.
Lire la chronologie des événements selon le site Internet du gouvernement béninois : https://www.gouv.bj/content/tentative-d-atteinte-la-vie-de-boni-yayi-ce-qui-s-est-r-ellement-pass-jusqu-l-arrestation
1er acteur dans un second rôle : Justin Gbenameto : ancien procureur de la République près le Tribunal de première instance de Cotonou.
Il a été à la surprise générale limogé en octobre 2013. C’est lui et le directeur général actuel de la police qui révélèrent l’affaire dite « tentative d’empoisonnement du chef de l’Etat » à la presse. Il a donné plusieurs interviews à RFI pour expliquer la tentative d’empoisonnement. Certains Béninois le jugent trop zélé. Il a fait un show mémorable sur les chaînes de télévision béninoises lors de la présentation à la presse des médicaments empoisonnés qui constituaient les armes du crime. Ces médicaments prescrits au chef de l’Etat par son médecin particulier auraient été manipulés par les commanditaires du forfait. Des substances radioactives qui devaient tuer le président à petit feu et sans trace auraient été introduites dans les gélules.
Il fut relevé de ses fonctions pour une sombre affaire de mouvement d’importantes sommes d’argent sur son compte bancaire. Selon plusieurs opposants, il aurait été tout simplement sacrifié par Boni Yayi qui selon eux remercie toujours ses collaborateurs zélés en monnaie de singe.
1er acteur dans un second rôle : Louis-Philipe Houndégnon : directeur général de la police nationale, ex-commissaire central de Cotonou.
Louis-Philipe Houndegnon est un jeune cadre de la police nationale qui a très rapidement gravi les échelons. Il s’est révélé aux communs des Béninois par ses actions à la tête du commissariat central de Cotonou. Il a assuré avec professionnalisme les interdictions de manifester et de marcher, devenues très courantes aujourd’hui au Bénin. Il a contenu avec brio les marches et les sit-in des syndicalistes, des protestataires après le KO électoral de mars 2011 qui a laissé groggy les politiciens béninois. Il a traité avec la même rigueur les voleurs et les indélicats qui terrorisaient les paisibles citoyens béninois. Durant son exercice à la tête du commissariat de Cotonou, il n’y avait pas de semaine où des bandits à visage découvert n’étaient présentés à la presse béninoise. Il est apparu plusieurs fois sur les télévisions béninoises aux côtés de l’ex-procureur Gbenameto pour présenter la version de la police dans les affaires « tentative d’empoisonnement du chef de l’Etat » et « tentative de coup d’Etat ».
Il aurait ordonné la saisie du passeport, puis l’interrogatoire toute une nuit durant du juge Angelo Houssouqui avait prononcé un retentissant non-lieu dans l’affaire tentative d’empoisonnement du Chef de l’Etat.
Selon les Béninois, son zèle et son professionnalisme ont pesé dans la balance pour sa nomination à la tête de la police nationale.
1er acteur dans un second rôle : Angelo Houssou : juge du siège au Tribunal de première instance de Cotonou :
Juge du sixième cabinet d’instruction du Tribunal de première instance de première classe de Cotonou, il a conclu l’instruction du dossier par un non-lieu, le vendredi 17 mai 2013. La nuit de ce même jour où il a rendu cette ordonnance, jugée courageuse par certains, mais téméraire par d’autres, il a été arrêté à la frontière bénino-nigériane alors qu’il tentait selon la police de traverser la frontière. Il aurait en sa possession son passeport avec un visa pour les Etats-Unis ainsi qu’une valise remplie de costumes et de vêtements beaucoup trop nombreux pour un week-end qu’il prétendait vouloir passer à Lagos, capital du Nigeria.
Les supporters du président estiment qu’il fuyait parce qu’il n’avait pas la conscience tranquille après avoir rendu sa décision de justice controversée. Pour les autres, il fuyait parce qu’il craignait pour sa sécurité. La nuit de ce voyage avorté, il aurait été écouté jusqu’au petit matin à la Direction générale de la police nationale. Son passeport lui a été confisqué et son domicile étroitement surveillé par des agents. Ses avocats exigent depuis ce temps que son passeport lui soit restitué et que l’on mette fin à la surveillance dont il fait l’objet.
Saisie par le procureur de la République et les avocats du président, la cour d’appel de Cotonou a rendu une décision presque semblable à celle du juge Houssou. Presque semblable, car le non-lieu n’a pas été prononcé pour le présumé commanditaire, Patrice Talon, et son acolyte Olivier Boko. Les tracasseries dont le juge a fait l’objet après cette affaire ont été source de vive tension entre le syndicat de la magistrature et le pouvoir.
1er acteur dans un second rôle : Zoubérath Kora : nièce et gouvernante du président Boni Yayi.
Elle a été arrêtée dans le cadre de l’affaire. Elle est accusée d’être celle qui devrait administrer les médicaments empoisonnés au chef de l’Etat. Il aurait retrouvé dans son téléphone portable plusieurs SMS suspects échangés avec les mis en cause. Selon le site Internet du gouvernement béninois, la conspiration aurait eu lieu en octobre 2012 à Bruxelles en marge d’une visite officielle du président Boni Yayi en France. Patrice talon aurait demandé à Zoubeirath, la nièce du président de lui administrer les médicaments incriminés contre la somme de 1 milliard de F Cfa (1 500 000 euros). La même proposition aurait été faite par Patrice Talon au docteur Ibrahim Cissé, médecin personnel du chef de l’Etat. L’affaire aurait fuité quand Zoubé a commencé à en parler à des proches à son retour de Bruxelles. Elle serait passée aux aveux lors des interrogatoires. Emprisonnée depuis le début de l’affaire, son état de santé se serait sérieusement dégradé aux dernières nouvelles. Son fiancé aurait eu un grave accident de la circulation au mois de septembre passé.
2nd rôle : Moudjaïdou Soumanou, directeur général de Sodeco, ancien ministre et conseiller du président.
On le dit proche de l’homme d’affaires Patrice Talon. Ancien ministre du Commerce du président Yayi jusqu’à son arrestation le 22 octobre 2012, il était un très proche de Boni Yayi. Il dirigeait la Sodeco, une société intervenant dans la filière Coton au Bénin. Certaines rumeurs rapportent qu’il était en froid avec Boni Yayi un peu avant les faits. C’est lui qui aurait rapporté de Paris par un vol Air France le 19 octobre 2012 les produits incriminés (radioactifs) qui devaient servir à anéantir physiquement Boni Yayi.
2nd Rôle : docteur commandant Ibrahim Mama Cissé : médecin personnel de Boni Yayi
Le commandant Ibrahim Mama Cissé est un médecin militaire. Il est le médecin personnel du président Boni Yayi. Il aurait aussi reçu de la part de Patrice Talon, la proposition de prescrire et de remettre à Zoubé les médicaments radioactifs qui devaient servir à empoisonner Boni Yayi. Depuis l’éclatement de cette affaire, il a été l’objet d’une procédure disciplinaire de l’armée béninoise, a subi un arrêt de rigueur de 60 jours et aurait rédigé une demande d’audience au chef de l’Etat. Lors d’une conférence de presse, ses avocats Maître Saïzonou-Bedie et Maître Charles Badou ont informé la presse que ladite demande d’audience aurait été rédigée et signée sous contrainte d’une commission militaire jugée illégale.
Maître Joseph Djogbénou
Ce professeur de droit reconnu et respecté dans le milieu judiciaire béninois est un ténor du barreau. Il est le conseil de plusieurs grandes firmes internationales ayant leurs activités au Bénin. Il est le conseil de Patrice Talon et Olivier Boko. Il est monté plusieurs fois au créneau sur les chaînes de télévision nationale pour apporter sa version des faits à l’opinion publique. Il n’a eu de cesse de dénoncer les violations des droits de l’homme et les non- respects de décision de justice dont ont été plusieurs fois victimes ses clients dans cette affaire.
Maître Joseph Djogbénou est aussi un membre actif de la société civile. Il est militant et président de plusieurs ONG qui travaillent pour la bonne gouvernance, l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme au Bénin. Il a une plume acérée.
Maître Christian Charrière-Bournazel
Avocat français du président de la République. Il est en charge de défendre les intérêts de son client dans le volet français de cette affaire. Le camp présidentiel espère vivement qu’il réussira à obtenir l’extradition de Patrice Talon et de son supposé complice Olivier Boko par la justice française. Des mandats d’arrêt internationaux ont été en effet délivrés contre ces deux citoyens béninois par la justice de leur pays. Les choses semblent de toute façon mal parties de ce côté car plusieurs fois déjà, la justice française a renvoyé l’affaire pour complément d’information. Au cours de la dernière audience qui s’est tenue le 23 octobre, la Chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris qui connaît le dossier l’a mis en délibéré pour le 04 décembre 2013.
La justice française voulait entre-temps savoir les peines encourues par les présumés coupables s’ils étaient reconnus coupables et condamnés, mais également si la peine de mort est interdite au Bénin.
Figurant : Olivier Boko :
Homme d’affaires et proche ami de Patrice Talon. Son nom n’est pas autant cité dans l’affaire que celui de Patrice Talon. Il est soupçonné par la partie plaignante d’être le complice du principal accusé dans cette affaire.
Figurant : Maître Alain Orunla, avocat du Juge Houssou
Il est entré sur la scène de ce drame en tant qu’avocat du juge Angelo Houssou lorsque ce dernier a été inquiété par la police. Plusieurs fois il est montré au créneau par presse interposée pour attirer l’attention sur la situation du juge.
Il a été brièvement interpellé puis gardé à vue par la police nationale le vendredi 27 septembre 2013 pour affaire de litige domanial où il représentait un client. Il s’agirait d’un règlement de compte lié à son statut de défenseur de plusieurs personnalités du pays ayant maille à partir avec le pouvoir.
Johannès Dagnon
Expert-comptable réputé au Bénin. Le 22 février 2013, il a été arrêté pour une affaire de tentative de coup d’Etat contre le président de la République. Son cas était d’autant plus sensible qu’il est le cousin de l’homme d’affaires Patrice Talon. Rapidement le lien a été fait entre les deux hommes et un second mandat d’arrêt international a été lancé contre ce dernier.
Plusieurs décisions de justice ont déjà ordonné sa libération, mais le procureur de la République a interjeté appel à chaque fois. Il serait actuellement emprisonné à Parakou à plus de 450 km au nord de Cotonou. La France suivrait attentivement son dossier, car Johannès Dagnon possède la double nationalité française et béninoise.
Commandant Pamphile Zomahou
Arrêté depuis le 23 février 2013, il est l’ancien patron de la compagnie de gendarmerie de Cotonou. Il est supposé être le complice de Johannès Dagnon dans l’affaire « tentative de Coup d’Etat » au chef de l’Etat. Il est emprisonné à Kandi , à plusieurs centaines de kilomètres au nord de Cotonou.
Nous ne savons de quoi seront faits les lendemains de ces affaires, mais les Béninois espèrent vivement que dans ces affaires judiciaires, le premier magistrat du pays prenne de la hauteur et ramène la balle à terre. A l’heure où le Bénin et ses autorités se battent pour attirer des investisseurs vers notre pays, cette actualité est vraiment une contre publicité.
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